"Des jours et des semaines passent: je continue à me dire que – un peu chaque jour, j'y arrive – je dois la voir tout entière. Les mois passent, et j'en suis de moins en moins sûr. Quoi qu'on voie et revoie, il reste toujours plus à voir, à digérer, à intérioriser, à comprendre. Et puis à comparer, participer, écouter, chaque pierre parle comme parle chaque être humain. Les jours prochains, les jours de ma vie, n'y suffiront pas. J'essaierai d'en dire quelque chose à mes enfants, à ceux qui me suivent ou me font suite... L'impression qu'on a, c'est qu'échappe toujours ce qui compte le plus. Mais n'était-elle pas petite, très petite, cette ville, vue d'avion? Je marche, je vois, pars, discute, seul ou accompagné: la fleur de pierre croît et se multiplie, au fur et à mesure que nous la connaissons.J'en ai fait du chemin; et pourtant je suis toujours, seulement, en chemin. Toujours vers Venise, plutôt qu'à Venise. Pensées et soirées vont et viennent, presque sans trace, comme l'eau dans les canaux. Les nœuds du dédale, et ce qui en nous les poursuit, impossibles à atteindre. La vie est infinie en cette brusque illusion, cette joie, qu'elle soit vraiment infinie."
extrait de Paolo Barbaro, Petit guide sentimental de Venise, p.100)