Par où commencer? On croise souvent ce nom dans les récits de voyage des écrivains et artistes du début du 20e siècle. La petite maison, légèrement en retrait du Grand Canal, située entre un palais à la façade ocre et le palazzo Corner della Ca’Grande, fut construite à la fin du 19e siècle par Domenico Rupolo à la demande du prince F. de Hohenlohe-Waldenburg sur le terrain où se trouvait l’atelier dans lequel Canova sculpta Dédale et Icare. À la place de l’atelier fut aménagé un petit jardin charmant donnant sur le Grand Canal. La plaque qui relate cette information se trouve en fait dans le jardin du Corner Ca'Grande qui jouxte celui de la Casetta Rossa.
Photo de Fausto Maroder
La Casetta vue du musée Guggenheim
Sonnette de la Casetta Rossa
Margelle de puits entre la Casetta Rossa et la Ca'Grande
Vue du jardin, photo extraite de The Gardens of Venice
Vue du jardin, photo extraite de The Gardens of Venice
J’imagine Henri de Régnier perché sur le toit du Dario guettant le départ de D’Annunzio : « Aujourd’hui, un autre intérêt nous a réunis sur l’altana. Depuis quelques jours, Gabriele D’Annunzio est l’hôte du prince de Hohenlohe à la Casetta Rossa et, comme tout se sait à Venise, nous savons que le poète part aujourd’hui. En effet, la gondole du prince est accostée devant la Casetta Rossa et bientôt nous verrons le poète s’y embarquer. Le moment approche. Le gondolier apporte les valises. Soudain apparaît un homme encore jeune, de petite taille, d’allure souple, vêtu d’un complet élégant et coiffé d’un chapeau melon. Je ne distingue pas son visage, mais je songe avec une sincère admiration que cette silhouette entrevue est celle du plus grand écrivain d’Italie. » (p.48 L’Altana, H. de Régnier)
Régnier qui eu lui-même quelques occasions de visiter l’endroit nous en décrit la décoration dans son Altana : « Nous voici devant la charmante Casetta Rossa qu’habite un ami de nos amies. Elle est petite et carrée et revêtue d’un crépi rouge. [… ] En des boiseries blanches s’encadrent des toiles dans la manière de Longhi, puis nous passons dans un autre salon dont la tenture rose est parcourue de bandes orangées et sur laquelle sont suspendues des pastels de Rosalba. […] Les murs de la salle à manger sont peints d’oiseaux, de fleurs, de fruits. » (p.45-46)
Le salon des Hohenlohe fut le lieu de rencontre de nombreuses personnalités de l’époque. Y sont passés entre autres : Giorgio Franchetti, Giuseppe Primoli, Mariano Fortuny y Madrazo, Henri de Régnier, Rainer Maria Rilke (ami de Marie von Thurn und Taxis, la sœur du prince), Hugo von Hofmannsthal, Eleonora Duse et Gabriele D’Annunzio. Le prince Hohenlohe et son épouse Zina y habitèrent jusqu’à l’éclatement de la Première Guerre mondiale où ils furent contraints de s’exiler en Suisse.
En janvier 1916, D’Annunzio blessé lors d’un amerrissage d’urgence trouvera refuge dans cette maison où il « écrira » son Nocturne avec l’aide de sa fille Renata. Pour sauver son œil gauche, les médecins l’obligèrent à respecter deux règles : obscurité et immobilité absolues. « J’ai les yeux bandés. Étendu sur le dos, le torse immobile, la tête un peu plus bas que les pieds. Je soulève très légèrement les genoux pour incliner la tablette qui y est posée. J’écris sur une étroite bande de papier qui n’est pas plus large que d’une ligne. J’ai entre les doigts un crayon. Le pouce et le médium de ma main droite, appuyée sur les bords de la bande, la font glisser au fur et à mesure que j’écris un mot. Avec la dernière phalange du petit doigt de ma main droite je sens le bord inférieur de la bande; et je m’en sers comme d’un guide pour qu’elle reste droite. Mes coudes sont immobiles contre mes flancs. Je cherche à donner au mouvement de mes mains une légèreté extrême, de manière qu’il n’aille pas plus loin que l’articulation du poignet, que nulle secousse ne se transmette à ma tête pansée. Dans toute mon attitude il y a la rigidité d’un scribe égyptien de basalte. J’apprends un art nouveau. » (p.7-8 Nocturne de Gabriele D’Annunzio) Il rédigea ainsi son Nocturne sur des milliers de petites bandelettes de papier du 23 février au 23 avril 1916.
Maurice Barrès eut également l’occasion de visiter la Casetta alors que D’Annunzio y séjournait : « Tandis qu’il parle, et sans me distraire de l’admirer, je regarde le charmant décor. Il faudrait la science et le lumineux pinceau de Théophile Gautier pour décrire ce palazzino silencieux qu’éclaire le petit jardin et pour inventorier ces pièces minuscules dont les plafonds et les murs, curieusement ouvragés, sont couverts d’objets rares et précieux. » (Barrès, 10 jours à Venise) Avant de quitter la Casetta Rossa en 1918, on dit que D’Annunzio aurait planté un grenadier qui fleurit toujours de nos jours dans le jardin.
Cette propriété a appartenu à Evelina Levi Broglio (1931-2007 ou 2008) à partir de septembre 1960 probablement jusqu’au début des années 2000. J’ignore si elle est habitée en ce moment.
Cet article m´a passionnée.
RépondreSupprimerTu sais très bien nous faire revivre Venise.
Merci AnnaLivia
Très beau billet Annalivia et si bien documenté, j'ai passé un excellent moment.
RépondreSupprimer...On cherche sous l'ombrage,
allongée dans sa nuit,
la silhouette encore
inoubliée depuis
du poète-aviateur
en son prénom d'archange,
et qui demeurait là.
perdu dans son courage...
(Jehan Despert)
Bon week-end
bises
Danielle
La Casetta Rossa est l'un des petits bâtiments les plus importants de l'histoire "récente" à Venise, même si l'extérieur peut sembler une maison ordinaire comme il y a beaucoup dans la ville. Le fait que dans cette maison a vécut le grand poète italien Gabriele D'Annunzio, rend la Casetta Rossa encore plus intéressante.
RépondreSupprimerLa légende veut que la grande actrice Eleonora Duse, amîtresse de Gabriele d'Annunzio, consumée par la jalousie, ait élu domicile dans un palais de l'autre rive pour mieux le surveiller...
RépondreSupprimerAHHHHHHHHHH, très très long....très beau billet sur cette "maisonnette "emblématique.... je suis certaine que je ne suis pas la seule à la trouver belle.Je m'y plairais beaucoup ..un rêve passe :-)
RépondreSupprimerBon week-end AnnaLivia.
Danielle
Merci à tous pour vos messages! Il y aurait encore tant à dire...
RépondreSupprimerBon weekend!
Un très intéressant reportage...merci pour ce parcours. Bon week-end!
RépondreSupprimerMademois(aile) !
RépondreSupprimerJ'adore votre carnet cybernétique !
Raynald
Merci pour votre reportage précis et très bien documenté. On le lit avec beaucoup d'intérêt car on imagine la présence du Prince de Montenevoso dans ce lieu délicat.
RépondreSupprimerBon dimanche!
Anne