Église et abbazia San Gregorio (quelques détails)
Détail du plan de Jacopo de' Barbari (XVe s.)
Dans un coin que j’affectionne particulièrement entre la Salute et le Guggenheim se trouvent l’église et l’ex-abbazia di San Gregorio (qui est actuellement en travaux). L’église, qui abrite les laboratoires de restaurations de la Soprintendenza (est-ce encore le cas?), semble être une des seules qui ne se visitent pas. J’ai d’ailleurs lu que Piero Pazzi, l’auteur du Stradario, déplorait que malgré un règlement datant de 1939, l’édifice ne puisse être ouvert aux visiteurs, ne serait-ce qu’un jour par mois. On peut toujours rêver…
Un autre endroit que j’aurais aimé voir, mais qui fait désormais partie d’une propriété privée, est le joli petit cloître de l’abbazia que je ne connais que grâce à des photos trouvées sur le net ou dans les livres et par l’art (gravures, aquarelles…). Je me suis donc intéressée à l’histoire de cet ancien monastère.
L’histoire de cette église est lié à celle de l’abbaye, aujourd’hui disparue, de Sant’Ilario e Benedetto, monastère bénédictin, fondé en 819 sur un terrain offert par le doge Angelo Partecipazio, qui se trouvait entre Malcontenta et Gambarare et qui dû être abandonné suite à la déviation de la Brenta (1143) qui entraîna l’inondation complète des terres où se trouvait le monastère jusqu’à son abandon complet en 1349. Le transfert des moines vers san Gregorio à Venise s’amorce dès le XIe siècle. L’unique trace qui subsiste de Sant’Ilario est un fragment de pavement en mosaïques trois couleurs (blanc, rouge et noir) ainsi que quelques éléments architecturaux conservés au Museo Archeologico di Venezia. (voir livre Pavements de Venise, p.46 et 179)
Vers 1259, les moines obtinrent le droit d’utiliser le monastère de San Gregorio. Il est difficile de déterminer précisément les dimensions et la forme du complexe monastique à l’époque byzantine. Il devait exister une église probablement plus modeste que l’actuelle. Les moines auraient habité une maison érigée sur la rive du Grand Canal. L’église a subi une première reconstruction un siècle après sa fondation (IXe s.), puis une autre par Antonio da Cremona entre 1445-1461. L’édifice présente à ce moment un plan à nef unique avec trois absides polygonales (ressemblances avec celles des Frari). On trouvait à droite de l’église un grand espace libre servant de jardin et à gauche, le vaste complexe monastique qui occupait tout l’îlot entre ce qui est aujourd’hui le rio de la Salute et l’actuelle calle del Traghetto. Le monastère comprenait alors deux cloîtres. Le second fut détruit au moment de la construction du Palazzo Genovese au XIXe siècle. Ce cloître, si l’on se fie au plan de Jacopo de’Barbari aurait été similaire mais un peu plus grand que celui que l’on connaît. Voici la description qu’en faisait Antonio Quadri dans son Venezia, il Canal Grande, la Piazza San Marco (1828) : « lunghissimo, seppur basso, edificio che per secoli ha ospitato i monaci di San Gregorio. »
Œuvres qui se trouvaient dans l’église : sept autels avec retables de Tintoret, Renieri, Pietro Ricchi, scuola del Vivarini, Aliense, cav. Bambini et Vincentino.
L’église perd son statut abbatial en 1775 et est désacralisée en 1806. Ses locaux serviront notamment pour le raffinage d’or pour la Zecca. Elle sera restaurée entre 1959-1962 et deviendra le Laboratorio di restauro della Soprintendenza per i Beni Artistici e Storici di Venezia. J’ignore si l’église est toujours occupée par ces services.
Détail historique : Ce fut d’abord dans l’église de San Gregorio que furent inhumés les restes de Marcantonio Bragadin qui avait connu une fin atroce à Constantinople. « Dans un pilastre de l’église, à l’intérieur d’une cassette en bois de mélèze fut déposée, en 1580, la peau de Marcantonio Bragadin, le défenseur intrépide de Famagouste qui fut écorché vif par les Turcs en 1571. En 1575 un esclave du nom de Gerolamo Polidoro s’empara de la dépouille qui se trouvait dans l’Arsenal de Constantinople et la rapporta à Venise. » (p.596 Paolo Giordano) Ils ont depuis été transférés (le 18 mai 1596) à l’église Ss. Giovanni e Paolo.
L’ex-abbazia est aujourd’hui une propriété privée et elle est actuellement en restauration. Aux dernières nouvelles la façade côté rio de la Salute était de nouveau visible, mais pas celle côté Grand Canal. On verra l’état d’avancement des travaux en mai… L’endroit avait été acheté en janvier 2005 par Claudio Buziol qui est mort subitement quelques mois plus tard. Je crois qu’il appartient toujours à la famille Buziol, qui possède aussi un autre palais sur le Grand Canal, le palazzo Mangilli-Valmarana, siège de la Fondation Claudio Buziol (espace d’exposition d’art comtemporain).
Parmi les propriétaires précédents ont figuré :
Dans les années 1830, le grand cloître devint un établissement balnéaire "La Salute, All'Antica Abbazia di San Gregorio".
1905 : Nicolo Spada l’achète mais son projet de restauration est rejeté. Le bâtiment fut loué à un antiquaire
1916 : Il est vendu à Anne-Marie, dite Cyprienne Dubernet (Madame Hériot (puis Douine), l’amie d’Ernesta Stern, qui possédait aussi la Villa Hériot à la Giudecca)
1934 : Achat par Barbara Hutton et Alexis Mdivani
1942 : Nouvelle vente à la comtesse Margherita Galloti Spiridion in Tedeschi
1954: Famille Monzino je ne sais précisément jusqu’à quand?
?- décembre 2004 : Semenzato Casa d’Aste
Janvier 2005-… : Famille Buziol
(remerciements à VDP pour ces informations)
Vue aérienne de la zone
Chevêt de l'église et côté de l'ex-abbazia
Façade côté Grand Canal
Façade avec portail gothique du XIVe s. surmonté d'une niche abritant un S. Gregoire en majesté.
Quelques représentations de l'abbaye et du cloître au fil du temps...
Vue de Francesco Guardi (détail)
Vue de Francesco Guardi (détail)
Canaletto (détail)
Canaletto
Canaletto (détail)
Illustration de Otto von Ruppert
Photo de Ferdinando Ongania © RMN (Musée Orsay)
Gravure de Clarence Gagnon
William Logsdail (1882)
Antonietta Brandeis
Carte postale ancienne
Voici ce qu'en disait Ruskin: Church of San Gregorio on the Grand Canal. An important church of the fourteenth century, not desecrated, but still interesting. Its apse is on the little canal crossing from the Grand Canal to the Giudecca, beside the Church of the Salute, and is very characteristic of the rude ecclesiastical Gothic contemporary with the Ducal Palace. The entrance to its cloisters, from the Grand Canal, is somewhat later; a noble square door, with two windows on each side of t, the grandest examples in Venice of the late window of the fourth order.The cloister, to which this door gives entrance, is exactly contemporary with the finest work of the Ducal Palace, circa 1350. It is the loveliest cortile I know in Venice; its capitals consummate in design and execution; and the low wall on which they stand showing remnants of sculpture unique, as far as I know, in such application.